samedi 9 mai 2009

L’Imzad n’est pas seulement une musique mais une symbolique

Dida Badi est chercheur au Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques d’Alger (CNRPAH). Rencontré en marge d’un colloque sur le patrimoine immatériel de l’Ahaggar et du Tassili, il explique les initiatives engagées pour protéger l’héritage musical de l’imzad, joué exclusivement par les femmes, dans le Tassili N’Ajjer et dans l’Ahaggar, au Niger, au Mali et en Libye.

Vous avez écrit Imzad, une musique millénaire de l’Algérie. Ce genre d’écrit est plutôt rare en Algérie...

C’est l’aboutissement d’une expérience née dans l’enchaînement d’un travail de mise en valeur de l’imzad entamé en 2000 dans les régions de Djanet, Bordj El Hawas et Tamanrasset. C’était une enquête engagée par le ministère de la Culture, le CNRPAH et une association locale de Djanet. J’ai soumis un projet de réhabilitation de l’imzad, je cherchais à l’époque les dernières femmes qui jouaient cet instrument. Je me suis rendu compte que cet héritage était en train de disparaître, la musique comme le savoir-faire. Il en est de même pour les airs qui en sont liés. C’est regrettable. Je me suis habitué à cette musique et à sa beauté depuis mon jeune âge. Je pouvais faire quelque chose de par ma présence à Alger et mes connaissances. J’ai commencé à chercher dans les villages les vieilles dames qui maîtrisaient encore le jeu de l’imzad, certaines participaient dans les festivals et étaient connues comme Kholel à Tamanrasset. Nous avons réuni ces femmes et organisé un concours à Djanet en présence de la ministre de la Culture, du délégué de la Commission européenne à Alger et des médias. Nous avons sélectionné six femmes de Djanet pour encadrer des ateliers d’apprentissage. Le choix a été laissé aux femmes d’enseigner soit dans leurs propres maisons ou ailleurs. Elles pouvaient choisir les horaires qui leur convenaient et inscrire cela dans leurs activités quotidiennes. Comme cela se faisait dans le temps. On a pu ainsi former une douzaine de filles. Le projet était limité.

Qu’avez-vous découvert dans vos recherches ?

Dans l’imzad, il y a un aspect mélodie et un aspect poésie. J’ai rassemblé les poèmes les plus anciens et les plus connus et je les ai comparés avec ceux que Charles Eugène de Foucauld a recueillis avant 1916. J’ai trouvé que certains poèmes figuraient déjà dans la collection du Père De Foucault et d’autres ne l’étaient pas. Donc, les poèmes du Tassili N’Ajjer étaient les mêmes que ceux de l’Ahaggar avec des variantes.

Quels sont les thèmes majeurs chantés dans l’imzad ?

La plupart des poèmes font des louanges à la beauté de la femme, le pays et la bravoure. Les partitions musicales sont classées en trois catégories : anciennes, moins anciennes et récentes. Les partitions anciennes, qui n’ont pas d’accompagnement poétique, sont les plus nombreuses. Les moins anciennes, au nombre de huit, sont liées à des poèmes. Les plus récentes sont plutôt religieuses, avec notamment El Boussaïri. Elles sont jouées à l’occasion des fêtes de mariage ou du Mawlid Enabaoui. Il y a un peu d’innovation dans l’imzad. Nous avons aussi découvert quelque chose d’important : l’imzad possède une unité structurelle. Tous les airs sont nés d’une mélodie majeure, Amghar Naoudhan (le père des airs). Il y a une symbolique idée de généalogie. C’est donc le tronc et les autres airs sont les branches (izlan). L’air majeur est le plus ancien et il a une histoire. Chaque air a une histoire, une fonction, un contexte dans lequel il a été créé. L’imzad n’est pas seulement une musique mais une symbolique qui reflète le mode de vie des Touareg, leur représentation, leur histoire, leur environnement…. La régénération des airs de l’imzad se fait en référence à la mélodie majeure. Le chaâbi et le hawzi, par exemple, ont démarré d’un air initial, le père des airs, qu’on n’a pas identifié. Nous avons la chance pour l’imzad de l’avoir trouvé en l’état. On l’a identifié et décrit. Si cet air disparaît, l’imzad va s’effriter et disparaître. J’ai insisté auprès des femmes pour qu’on enseigne d’abord cette mélodie majeure puis les autres airs qui en sont l’émanation.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

J’ai commencé un travail sur une chorégraphie et des chants qui s’appellent Tazangharet. C’est le chant du travail des sédentaires, une forme de blues. Cela peut même être situé aux origines du blues. J’ai entamé ce travail dans l’esprit de rechercher la structure et son unité. J’ai identifié les airs au nombre de onze qui ont leur poésie et leur histoire. Cela ressemble à l’imzad avec cette différence qu’il n’existe pas de mélodie majeure. Ce sont surtout les textes qui sont intéressants. J’ai commencé mes recherches dans la région d’Abalessa. C’est là où il y avait beaucoup d’agriculteurs et où le Tazangharet est célébré. Je vais me déplacer dans les autres villages pour continuer mes recherches. Les femmes qui chantent Tazangharet le font en targui, leurs filles non. Il y a une rupture qui s’est faite avec la disparition de la langue. Bientôt, cet héritage qui est lié à une communauté sédentaire de l’Ahaggar sera en danger. Tazangharet n’existe que dans cette région...

La langue touarègue n’a-t-elle pas besoin d’un statut particulier ?

Il y a un net recul de l’utilisation du tamachak à Tamanrasset et dans ses environs, surtout depuis que les nomades ont commencé à se sédentariser. Mais ces derniers temps, on constate un certain regain d’intérêt parmi les jeunes. Le touareg est enseigné à l’école aujourd’hui. L’enseignement implique l’existence de pôles de travail. La langue est également utilisée à la radio. Il y a donc une certaine revalorisation. Quant à l’utilisation du tifinagh, c’est un débat qui renvoie à la graphie à utiliser pour l’écriture du tamazight. Le chaoui, le touareg ou le kabyle sont les variantes du tamazight. Là aussi, il y a plusieurs approches sur la manière de réunir ces variantes sous la bannière d’une langue mère revivifiée. Certains sont favorables pour la graphie arabe, d’autres pour la graphie latine et d’autres pour le tifinagh. Chacun à son argument. Ici, dans l’Ahaggar, la majorité est pour l’utilisation du tifinagh. J’ai fait une étude sur l’enseignement de la langue qui relève que les gens ici ne peuvent pas imaginer une autre graphie pour le touareg que le tifinagh. Si l’on tient compte du point de vue de la population, c’est le tifinagh qu’il faut choisir. Les spécialistes pourraient parler d’efficacité pour utiliser d’autres graphies. Le touareg n’est pas une langue menacée de disparition. Après le choc colonial, la France a brisé les Touareg et marginalisé leur langue. Après les indépendances, le touareg est devenu langue nationale au Mali et au Niger. Et elle est enseignée dans ces pays. Partie du tamazight, le touareg est également langue nationale en Algérie après son introduction dans la Constitution. Il y a des échanges et des enrichissements mutuels entre les Touaregs des différents pays du Sahel et du Maghreb. Il y a des apports qui enrichissent la langue. Autant que les emprunts à d’autres langues comme l’arabe, le hawssa...
Dida Badi est auteur de Imzad, une musique millénaire de l’Algérie, publié par l’Association Les Amis du Tassili et les éditions ENAG.
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